LE COURS EN AUDIO
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Les conclusions de ce Shiour sont à prendre uniquement laHalakha et pas laHalakha lémaasei - c'est à dire que l'on va faire une recherche halakhique mais que pratiquement il faudra demander l'avis de son propre Rav.
On a l'habitude de dire que la polygamie a été interdite par décision de Rabeinou Guershom Meor Hagola - rabbin français qui habitait en Allemagne - associé à énormément de Rabbanim.
Il a fait la takana étant assez âgé et il est décédé en 1028 ou 1038 (un peu avant la naissance de Rashi).
On va éclaircir dans un premier temps quel est exactement l'interdit, s'il y a des limites cette takana : si elle concerne tout le monde.
La question essentielle est celle-ci : si la polygamie est quelque chose de négatif, alors pourquoi la Torah ne l'a pas interdite elle-même. Et inversement si c'est quelque chose de positif, alors pourquoi Rabeinou Guershom l'a interdit.
PARTIE HALAKHIQUE
I. Les Raisons de la Takana
Le Maharam Padve, Rav Meir Katznellenbogen (מהר"ם פדובה - רב מאיר קצנלנבוגן) dans son responsa Siman 14 écrit que la raison de la Takana est un problème de Parnassa : la situation d'exil et de persécution ne permettait plus de subvenir convenablement aux besoins de plusieurs femmes. Il souligne aussi qu'il y aura nécessairement plus d'enfants.
Le Maharik (Rav Yossef Colon Trabotto) Shoresh 101 Siman 4 écrit que la raison de la Takana est de protéger des débauchés qui ne respectent pas leurs femmes ('ligdor bifné hapritsim hameolelim beneshoteem'), en interdisant le mariage avec deux personnes ça calmera les esprits.
Le Ran (un Rishon du 14ème siècle) (Shout §48) écrit que c'est pour éviter les disputes (la situation sera plus calme avec une seule femme). Cette idée est aussi mentionnée dans le Maharil (Shout §101), et encore avant par Rabeinou Avigdor cité par le Mordekhai dans Massekhet Ktouvot §291.
Et c'est aussi ce qui ressort d'énormément d'Aharonim : Rabbi 'Haim Pallagi dans son Responsa 'Haim Veshalom (II, §16), le Aroukh Hashoul'han (Even Haezer §1, 23) et encore beaucoup d'autres.
Le 'Hatam Sofer (Even Haezer I, §1) mentionne les deux raisons : pour éviter les disputes et à cause des problèmes de parnassa.
Enfin, le Yaabets Rabbi Yaakov Emden écrit (Shéilat Yaabets II, §15) que la raison n'a rien avoir avec un quelconque péché. Seulement, puisqu'on habite parmi les non juifs chrétiens qui ne pratiquent pas la polygamie alors il y a un problème de 'Hilloul Hashem.
C'est pourquoi fort de cette svara, il s'oppose au Ran qui dit que si une personne concernée par la takana (un Ashkénaze) va dans un pays Sfarade où la takana n'est pas répandue, celle-ci est quand même interdite de polygamie (l'interdit est sur la personne). Selon le Yaabets, puisque c'est uniquement un problème de 'Hilloul Hashem, si la personne part dans un endroit où les goyim pratiquent la polygamie il n'y a pas de problème.
► Il va encore plus loin dans ce responsa : il écrit qu'il conviendrait d'annuler ce 'herem. Pourquoi ? Car la Torah a interdit le Znout (la débauche) et la femme Nida (l'interdit de relations avec sa femme pendant sa période de menstruations jusqu'au passage au bain rituel) et c'est pour ça qu'elle a d'autre part autorisé la polygamie. (Il y a lieu de demander dans ce cas pourquoi la Torah n'a pas non plus autorisé la polyandrie aux femmes... Il considérait peut-être que les femmes ont moins de Yetser Hara que les hommes.)
Et il précise que Rabeinou Guershom n'a pu interdire la polygamie permise par la Torah uniquement béshev veal taassé de manière passive.
Il rajoute encore que cet interdit frôle l'interdit de bé'houkotéèm lo télékhou וּבְחֻקֹּתֵיהֶם לֹא תֵלֵכוּ (Vayikra 18,3), qui est l'interdit d'imiter les lois des religions non-juives - ce dont parle ici le Yaabets - et l'interdit de les imiter sur une habitude même non religieuse si elle touche aux mauvaises midot (grossièreté etc.).
Le Yaabets s'est opposé à beaucoup de choses, c'était un grand révolutionnaire, il écrit dans la suite sur beaucoup des coutumes allemandes qu'il aurait mieux fallu qu'elles n'existent jamais car elles amènent plus de problèmes que de bonnes choses.
Il s'est ainsi opposé à l'interdit de Kitnyot des légumineuses à Pessa'h par les Ashkénazim et certains Sfaradim. Dans son Mor Ouktsia sur le Tour (Ora'h 'Haim §453), il écrit au nom de son père le 'Hakham Tsvi qu'il souffrait de cette coutume et qu'il faudrait l'annuler car à cause de ça les gens sont pointilleux sur les Kitnyot et sont mékilim sur la farine des Matsot qui est une chose beaucoup plus grave.
Il était aussi contre les Mishébérakh après les montées à la Torah qui prennent trop de temps et contre la vente des Mitsvot le Shabbat.
Néanmoins, il a toujours respecté les interdits et n'a rien voulu réformer seul. Dans les Kitnyot il dit clairement que si d'autres veulent s'associer à lui ils peuvent essayer d'annuler l'interdit.
Beaucoup trouvent que le 'Herem de Rabeinou Guershom est excessif.
Le Rav Ovadia Yossef (Yabia Omer VIII Even Haezer §2) ramène encore plusieurs A'haronim qui tentent de limiter autant que faire se peut l'interdit de polygamie, car si on en fait trop ça fait des dégats. Par exemple le Rabbi Betsalel Zeev Shafren dans son Shout Haravaz (Even Haezer §26) et le 'Hatam Sofer (§3).
Le Yaabets n'est pas le seul à s'y être opposé nettement, on trouve aussi bizarrement le Gaon de Vilna. Il ne l'a marqué dans aucuns de ses livres, mais on le voit dans une lettre de Rav Shmouel Heller de Tsfat רב שמואל הלר, un élève de Rabbi Israel de Shklov רבי ישראל משְקְלוֹב qui était un des grands élèves du Gaon de Vilna. Cette lettre est ramenée dans un livre de Toldot du Gaon de Vilna du Rav Betsalel Landau page 107 note 65. Il a écrit une lettre a Rabbi Akiva Yossef Schlesinger (datée du 14 Tevet 5636, 11 Janvier 1876) où il ramène que la Gaon a dit que s'il pouvait annuler le 'Herem il le ferait, et plus que ça : s'il fallait pour cela qu'il annule Torah ouTefila afin de tourner de ville en ville il l'aurait fait. (Il ramène là-bas une deuxième chose où il serait prêt à perdre beaucoup de temps : la coutume des Ashkénazim de ne pas faire Birkat Kohanim en semaine.)
Une autre chose qui est peut-être liée est ce qu'écrit le Rambam (Moré Nevoukhim III, §49), il dit que le but des interdits des unions illicites est de rendre la cohabitation plus rare. Peut-être que l'interdit de Rabeinou Guershom est aussi axé dans ce sens la, à l'instar de la Takanat Ezra et la Gmara Bra'hot 22a שלא יהו תלמידי חכמים מצויים אצל נשותיהם כתרנגולים shélo yiyou talmidé 'hakhamim metsouyim eshel neshoteem ketarnegolin. En tout cas il est clair que ça ne colle pas avec l'opinion du Yaabets. Cependant Rav Wattenberg se rappelle avoir lu le Yaabets faire les louanges des curés qui font vœu de célibat, ça se contredit un peu...
II. Interdit pour combien de temps ?
Le Maharik (Rabbi Yossef de Colon) Shoresh 101 Siman 4 écrit au nom du Rashba que l'on a entendu que sa Takana prenait fin à la fin du cinquième millénaire (vers la fin de l'année 1239). On retrouve cette idée dans le responsa du Rashba (IV, §186) (le Rav qui pose la question écrit ça). La même idée dans le Radbaz (§1180), et le Yaabets dans son Shéilat Yaabets (II, §15). C'est aussi ramené dans le Rama.
Certains écrivent que de nos jours en effet le 'herem est annulé, mais c'est malgré tout interdit à cause du Minhag, de la coutume. C'est l'opinion du מהרשד"ם Maharashdam (Rabbi Shmouel de Modène) dans Even Haezer §78.
Le Yam shel Shlomo (Rabbi Shlomo Louria, le Maharshal) sur Yébamot (§6, 41) et dans son Shout §14 n'est pas d'accord du tout, il écrit qu'il est certain que ce 'herem a été fait pour être éternel. Pourquoi ? Car même après l'an 1240 les Rishonim dont le Mordekhai, le Smag et le Or Zaroua continuent à parler de l'interdit de la polygamie comme la Takana de Rabeinou Guershom. Et il ajoute que la rumeur dont parle le Maharik est fausse, de plus les raisons de la Takana de Rabeinou Guershom (voir début du Shiour) sont toujours applicables de nos jours.
C'est aussi l'avis du Rav Bakhrakh dans son 'Havot Yaïr (§124). Le 'Hatam Sofer (Even Haezer §2 et 'Hoshen Mishpat §203) va encore plus loin : il dit que si le Maharik et le Rama avaient su ce que disait le Maharshal ils n'auraient pas écrit ça.
Le Rav Yossef Karo dans son Shout dans Dinei Ktouvot §14 repousse la preuve du Maharshal, ces Rishonim continuent à appeler l'interdit comme celui de Rabeinou Guershom malgré que ce ne soit dorénavant qu'un Minhag, seulement c'est devenu le nom usuel.
Le Aroukh Hashoul'han (Rav Epstein) dans Even Haezer (§1, 23) écrit pratiquement comme le Beth Yossef, que même ceux qui disent que la Takana se termine en 1240, malgré tout les juifs l'ont prolongé (jusqu'a la venue du Machia'h) toujours au titre de Takana de Rabeinou Guershom (pas seulement en tant que Minhag comme le Beth Yossef).
III. La gravité de l'interdit
Le Shout Avodat Haguershouni du Rav Guershon Ashkénazi (§53) écrit que celui qui transgresse l'interdit de Rabeinou Guershom transgresse un interdit de la Torah, comme un serment. Le Maharik aussi (Shoresh 184) et le Mabit (II, §16).
Le Shout HaRosh (Klal 43, §8) écrit que toutes les Takanot de Rabeinou Guershom sont fixées comme si elles avaient été données au Sinaï. Il y a quelques nuances avec un interdit explicite de la Torah qui est plus grave, par exemple certains A'haronim considèrent que l'on ne dit pas Sfeika déOrayta la'houmra dans une Halakha léMoshé miSinaï.
Le Noda Biyehouda (Yoré Déa II, §146) écrit qu'il faut la considérer comme une Takana des 'Hakhamim du Shass ou bien comme Divrei Kabbala. Le Radbaz (§1165), le מהר"י מינץ Mahari Mints (§110) et le Divrei 'Haim (II Even Haezer, §14) écrivent la même chose et c'est l'opinion majoritaire.
Le Maharil (§101) dit que c'est encore moins grave qu'un Issour déRabanane. C'est osé de dire ça. Il explique que c'est simplement pour éviter les disputes pas de quoi en faire un véritable interdit. Le Darkei Moshé (le Rama) écrit la même chose dans Even Haezer §1 sk.10.
On a déjà vu l'opinion du Yaabets et du Gaon de Vilna qui vraisemblablement considéraient que ce n'était pas un super issour puisqu'ils voulaient l'annuler.
IV. Qui est Concerné ?
• Le Rashba (III, §446) (ramené dans le Beth Yossef) écrit que la Takana ne s'est pas répandue en Espagne et en Provence (le sud de la France), et il précise que les Talmidei 'Hakhamim en Espagne se marient avec deux femmes. C'est marqué la même chose dans le Ran (Shout §48), qu'en Castille on a l'habitude de pratiquer la polygamie. Le Maharam Halashkar (מהר"ם אלשקר) aussi (fin du Siman §95), le Maharalba'h (מהרלב"ח) Rabbi Levi ben 'Haviv (§36), Rabbi Shmouel de Modène le Maharashdam (מהרשד"ם) (Yoré Dea §140) et énormément d'autres livres. Même dans un Sefer Moussar le Sefer Hayashar : on pensait que c'était celui de Rabeinou Tam, mais l'on sait aujourd'hui que l'auteur est Rabeinou Zéra'hya et l'une des preuves est justement ce qu'il y est écrit à la fin que les juifs pratiquent la polygamie, or Rabeinou Tam habitait en France où c'était interdit sans aucun doute.
Du Responsa du Rosh on voit aussi que la Takana n'était pas appliquée en Espagne: dans Klal 43 Siman 8 il ressort clairement qu'il ne connaissait même pas Rabeinou Guershom.
Le Rosh était un Rav allemand puis a fui l'Allemagne pour l'Espagne, le duc local avait enlevé son maitre le Maharam de Rottenburg contre une très grosse rançon et celui-ci avait interdit à la communauté de le racheter (ça allait les ruinait, le duc recommencerait encore plus souvent etc.). La communauté a fini par accepter et le Maharam mourut en prison. Le Rosh comprit qu'il serait la prochaine cible et il s'enfuit avec sa famille en pleine nuit sans prévenir personne pour ne pas prendre de risques. Il traversa toute la France sans qu'on le remarque, puis arriva à Barcelone où il rencontra le Rashba : pendant huit jours ils étudient ensemble du matin au soir (ils ont dû dormir puisque la Guémara dit que l'on ne peut rester trois jours sans dormir). À la fin le Rashba fut tellement impressionné d'avoir trouvé un rabbin qui faisait le poids qu'il lui proposa un poste de Rav à Tolède.
Quoi qu'il en soit il écrit là-bas que dans sa ville (en Allemagne) il y avait un Rav qui s'appelait Rabeinou Guershom qui a institué de bonnes Takanot, mais qu'il constate que dans les villes espagnols les gens n'étudient que le Rif.
• À Jérusalem aussi la Takana ne s'est pas répandue, c'est le Radbaz qui nous le dit - ramené dans le Shout du Mahari béRav (מהר"י בירב) Siman 61
• En Italie, le Maharik (Shoresh 101 Siman 4) écrit que la polygamie y est autorisée car la Takana ne s'y est pas répandue.
Néanmoins il semblerait que plus tard la Takana soit arrivée :
Napoléon en 1806-1807 créa un Grand Sanhédrin (bien sûr qui n'a aucune valeur halakhique) et demanda de lui rendre des comptes sur certains points du judaïsme avant d'accorder la citoyenneté aux juifs. La première question fut : est-ce que la polygamie est autorisée ? Les soixante-et-onze rabbins qui composaient le Grand Sanhédrin répondirent aux questions - il faut savoir que le président était le Rav Yossef David Sinzheim (רב יוסף דוד זינצהיים) premier grand-rabbin de France et assurément le plus grand Talmid 'Hakham du groupe, aussi la majorité du groupe étaient des rabbins orthodoxes mais il y avait aussi une grande partie de rabbins libéraux.
En tout cas il écrit que c'est interdit en France et en Italie par la Takana de Rabeinou Guershom (Napoléon était aussi roi d'Italie).
• En Égypte aussi, le Maharik (Shoresh 107) écrit qu'il n'y a pas la Takana et que c'est la raison pour laquelle le Rambam qui habitait en Égypte n'a pas mentionné cet interdit. C'est aussi ce qui ressort du Ritva dans Yébamot 44a.
Et du Rambam lui-même on aurait éventuellement une source que la polygamie n'a pas été interdite dans le sud de la France et en Espagne: dans ses lettres (dans l'édition de Lifsia page 40a) il écrit pour critiquer que pratiquement tous les rabbins là-bas sont mariés à deux femmes. Et il rajoute que les rabbins français ne peuvent comprendre D.ieu qu'a travers des bons plats - il se moque d'eux sur plusieurs lignes, ce qui a poussé les chercheurs à conclure que cette lettre est falsifiée : quand bien même il aurait eu une dent contre les rabbins français il se serait prononcé d'une meilleure manière.
• Rav 'Haim Pallagi (le Rav de Izmir en Turquie de 1837 à 1869) écrit dans son Shout 'Haim Veshalom (II, §16) que les rabbins de Izmir n'ont jamais permis la polygamie si ce n'est cas exceptionnel (il ramène un cas où la femme d'un homme est devenue aveugle et que la situation était difficile).
Cependant, le Sdei 'Hemed (Rav 'Hizkiyahou Medini) dans Maarekhet Guiroushin §2,9 écrit qu'il y a lieu de se demander si la Takana de Rabeinou Guershom est arrivé à Izmir - ça a l'air de contredire le Rav Pallagi.
C'était un Rav extraordinaire du 19ème siècle qui a écrit une sorte d'encyclopédie gigantesque - même aujourd'hui avec un ordinateur refaire la même chose serait un exploit. Ce n'était pas un grand Lamdan mais sa Békiout était phénoménale. Il ramène parfois des livres qui ont aujourd'hui disparu etc.
Et le Knesset Hagdola Rav Haim Benbenisti dans son Responsa Baé 'Hayé (בעי חיי) écrit clairement que la Takana s'est répandue dans sa ville (il était rabbin de Izmir jusqu'en 1673).
Le Yaabets (Shéilat Yaabets II, §15) écrit que la Takana ne s'est répandue qu'en Allemagne ! Néanmoins on sait très bien que c'est faux, que la Takana s'est répandue dès le début en France...
Le Mahari Mints (§110) ramené dans le Rama écrit que l'interdit concerne tout pays jusqu'a preuve du contraire, il faut prouver que dans son pays la Takana ne se soit jamais répandue. Le Aroukh Hashoul'han aussi (Even Haezer §1, 23) dit que la Takana s'est répandue dans la majeure partie de l'exil et que dans le doute la polygamie est interdite.
Le 'Hikrei Lev (aussi originaire de Izmir, c'était le grand-père maternel de Rav 'Haim Pallagi) écrit (Yoré Déa III, §87) que bien que dans certains endroits la Takana ne s'est pas répandue, les juifs ont pris d'eux même l'habitude de s'y astreindre et c'est donc interdit.
C'est d'ailleurs comme ça que le Shoul'han Aroukh (Even Haezer §1, 11) conseille de faire dans : qu'il convient de s'interdire la polygamie. Le Beer Hagola sur place écrit que la source est du Responsa du Rosh dans Klal 43 Siman 7, mais c'est une erreur : la-bas le sujet est celui qui se marie avec une seconde femme dans un second pays où il y a alors un risque que les enfants se marient ensemble (c'est la Guémara Yoma 18).
Le Aroukh Hashoul'han (Even Haezer §1,23) écrit aussi que la Takana ne s'est pas répandue en Turquie et en Afrique, mais que malgré tout la grande majorité des juifs ont pris la Takana d'eux-mêmes.
Le Shoul'han Aroukh (Even Haezer §1, 10) tranche que Rabeinou Guershom a excommunié celui qui se marie avec plusieurs femmes (si ce n'est lorsqu'il y a un Yiboum) et ajoute que la Takana ne s'est pas répandue partout (il ne retient donc pas l'opinion que jusqu'a preuve du contraire la Takana est partout - ce qui n'est pas le cas du Rama). Il dit aussi que le 'herem se finit à la fin du cinquième millénaire (l'an 1240) mais il a déjà écrit dans son Responsa que c'est toujours interdit ensuite mais sans excommunication.
Rav Ovadia Yossef (Yabia Omer VIII Even Haezer §2) tranche clairement que c'est autorisé pour les Sfaradim, et s'énerve terriblement contre les tribunaux en Israël qui l'interdisent. Rav Wattenberg en est assez étonné au vu de tout ce qui vient d'être dit, comment peut-on dire que c'est autorisé pour les Sfaradim : en Italie et Turquie on a vu qu'il y avait l'interdit, les juifs du Maghreb c'est autre chose, et les 'Halabim (les juifs de Alef : syriens, iraniens, iraquiens) dont fait partie Rav Ovadia pratiquaient effectivement la polygamie (mais le problème reviendrait s'ils viennent dans un pays où la polygamie est interdite, comme l'a dit le Yaabets à cause du problème de 'Hilloul Hashem etc.).
On a vu qu'en Provence (le sud) l'interdit n'était pas évident : Marseille par exemple n'était pas en France à l'époque de Rabeinou Guershom mais malgré tout il restera l'interdit qui a été répété par Rav Sinzheim.
PARTIE HISTORIQUE
La Polygamie dans le Tanakh
(non exhaustif)
Avraham s'est marié avec deux femmes, mais grande subtilité : ce n'est pas lui qui l'a voulu et c'est sa femme qui l'a demandé, c'est-a-dire qu'on ne peut pas prouver que la polygamie n'est pas négative à partir d'Avraham. Pareil pour Yaacov avec Ra'hel et Léa - il s'est marié aux deux suite à une arnaque du beau-père, aussi il s'est marié avec Bilha et Zilpa à la demande de ses épouses.
Par contre les rois étaient clairement polygames : David a eu 18 femmes et Shlomo en avait 1000 ! (300 avec Ktouva et Kidoushin et 700 Pilagshim).
Sur Moshé Rabeinou, il y a un avis qui le laisserait entendre : dans Parashat Baalotekha (Bamidbar XII, 1) c'est marqué qu'il s'est marié avec une femme noire (Koushit). Alors les 'Hakhamim embêtés par ça on fait un Drash que Koushit signifie qu'elle était belle, mais littéralement ça veut dire noire. Le Ibn Ezra explique qu'il s'agit de Tsipora qui était Midianite donc noire (comme les éthiopiens - une physionomie plutôt européenne mais couleur de peau noire) donc la Torah l'a appelé Koushit bien que ce soit plus une noire africaine. Mais le Rashbam explique que Moshé Rabeinou était marié avec une autre femme qui était Koushit - il précise quand même qu'il ne l'a pas touché etc. mais ça reste une touche de polygamie.
La Polygamie dans le Talmud
Rav Reouven Margulies écrit dans Ollélot (עוללות) Siman 6 que même avant la Takana de Rabeinou Guershom les rabbins du Talmud ne pratiquaient pas la polygamie, et qu'ils la critiquaient. Il amène beaucoup de preuves mais elles sont presque toutes contestables, Rav Wattenberg en a sélectionné quatre sympathiques :
C'était un rabbin incroyable, on n'aura pas le temps de parler longuement de sa vie et de son œuvre mais rapidement : il n'a jamais été rabbin mais a travaillé toute sa vie, malgré tout il a étudié la totalité de la Torah et a écrit des livres sur la totalité de la Torah : tous les Midrashim, le Shoul'han Aroukh, le Rambam, le Shass Bavli et Yeroushalmi, le Zohar (on dit que son commentaire est le meilleur). Il a aussi écrit des annotations sur des centaines de livres, mais malheureusement beaucoup se sont perdus : il habitait à Lwów en Galicie (Lemberg) jusqu'en 1935 où il a fait sa Alya, il pensait y retourner récupérer ses écrits mais avec la guerre tout a été perdu. On a seulement une cinquantaine de ses livres sur à peu près cent titres, et c'est époustouflant. Il est né en 1889 et mort en 1971.
Première preuve: Le Psikta Rabati Piska 43 sur le verset au début de Shmouel qui nous fait les louanges de Elkana, père de Shmouel (Samuel) le prophète et mari de 'Hanna et Pninna : on dit que c'était un homme bon (Efrati) et qu'il avait deux femmes. Le Midrash demande comment peut-il être bon et avoir deux femmes ? Et il répond que puisque 'Hanna n'avait pas d'enfants il a dû s'en marier avec une seconde. On voit donc que la polygamie est une mauvaise chose (généralement).
Cependant le Yalkout Shimoni Shmouel (I, §77) et plus ou moins la même chose dans le Midrash Shmouel §1 ramènent deux options si c'était bien ou pas, donc il semblerait que ce soit un point de divergence. Néanmoins on peut encore dire que même l'opinion qui trouve que Elkana a bien fait c'est seulement parce qu'il n'aurait pas pu avoir d'enfants sans ça (Note : et il y aurait donc une opinion qu'il est mal de se marier une deuxième fois même dans le but d'avoir des enfants ?)
Deuxième preuve: La Gmara Ktouvot 62b nous raconte que le fils du Rabbi Yéhouda Hanassi s'est marié avec la fille de Rabbi Yossi ben Zimra, et qu'après quelques temps il est parti étudier pendant douze ans consécutifs. Lorsqu'il revient, sa femme est stérile (c'est selon la Gmara Yébamot 34b qui considère qu'une femme restée dix ans sans son mari devient stérile). Le fils demande à son père un conseil, et celui-ci raisonne ainsi : si mon fils la divorce les gens vont dire qu'il l'a fait attendre dix ans pour finalement la divorcer donc c'est pas bien, s'il prend une deuxième femme les gens vont dire celle-là est sa femme et celle-là est sa prostituée. Il décide donc de prier pour qu'elle guérisse et ça a marché.
On apprend de là (en dehors du fait qu'il semblerait qu'on ne doit pas trop déranger le Bon D.ieu) que la polygamie était vue d'un très mauvais œil.
Néanmoins on peut relativiser cette preuve, peut-être que c'est uniquement lorsque l'une des femmes n'a pas d'enfants du tout que les gens disent que l'homme la prend comme une prostituée, mais si l'on a des enfants avec les deux femmes pas de problème. Cette coutume existait chez certains peuples qui gardaient une femme pour le Tashmish et une femme pour avoir des enfants : le Midrash Raba Bereshit (§23, 3) dit que c'est ainsi que se comportaient les gens qui sont morts lors du déluge.
Troisième preuve: Il semble du Targoum du Sefer Ruth (IV, 6) qu'on n'a pas le droit de se marier avec une deuxième femme. Mais bizarrement Rav Margulies oublie le mot essentiel de sa preuve (il devait être fatigué ou bien c'est la faute à l'imprimeur). Il a déja été devancé par plusieurs, notamment Rav Israël Ye'hiel Mikhel Rabinovitch (רב ישראל יחיאל מיכל רבינוביץ) un monsieur parisien qui a écrit un Mévo Hatalmoud une préface au Talmud imprimé à Vilna en 1894 ramène cette preuve dans Shaar 5 Perek 3 page 81. Il semblerait du Targoum que l'interdit de la polygamie est pour éviter les disputes et il y aurait donc un antécédent à la Takana de Rabeinou Guershom.
Quatrième preuve: La Gmara Ktouvot 77a en bas dit que si un monsieur est resté marié dix ans avec une femme on l'oblige à divorcer pour qu'il puisse avoir des enfants. Rav Margulies prouve de la qu'il n'était donc pas envisageable de se marier avec deux femmes. Ça aussi c'est repoussable, peut-être que certains étaient mariés avec deux femmes mais simplement cet homme se marierait plus vite avec une femme s'il divorçait de la première.
Ce Din là paraît brutal et est très étrange ! Comment peut-on obliger un couple à divorcer dans le but d'avoir des enfants ?! Cette question a été posée par le Avnei Nezer - Rabbi Avraham Bornstein (Avrohom Bornsztain).
Un rabbin né en 1838 et mort en 1910, il était à la fois un rabbi 'hassidique et un décisionnaire très grand Lamdan : il a écrit un responsa et un livre sur les Malakhot de Chabat très connu, le Iglei Tal. C'est le père du Shem Mishmouel.
À la connaissance de Rav Wattenberg c'est le premier à poser la question.
Évidemment quand on s'appelle le Avnei Nezer on ne pose pas simplement la question 'ce n'est pas joli d'obliger un couple à divorcer', il faut poser la question de façon halakhique. La loi est que pour accomplir un commandement positif un homme est tenu de donner jusqu'a un cinquième de sa fortune, et pour un interdit un homme doit donner tout son argent plutôt que de transgresser. Il demande donc qu'il est évident que de nombreuses personnes seraient prêtes à donner bien plus qu'un cinquième de leur fortune pourvu de ne pas divorcer de la femme qu'ils aiment. Et donc pour accomplir le commandement d'avoir des enfants on ne devrait pas en demander autant !
Alors certains A'haronim veulent distinguer entre les commandements positifs qui s'accomplissent une fois dans la vie et ceux qui reviennent périodiquement (une fois par an etc.), pour ces premiers (dont le commandement d'avoir des enfants) il faudrait dépenser plus qu'un cinquième. Et c'est en effet assez logique de devoir investir plus d'argent dans de telles Mitsvot comme la Brit Mila et les Téfilin par exemple. Il y a énormément de choses à dire sur ça. Rav Wattenberg souligne que le commandement de reproduction est encore plus important que Tfilin et Mila : en effet pour avoir des enfants on permet de sortir d'Israël (ainsi que pour étudier la Torah), par contre pour acheter des Tfilin c'est interdit. Aussi on peut vendre un Sefer Torah pour pouvoir se marier mais pas pour acheter des Tfilin.
Mais Rav Wattenberg pense qu'il y a en réalité deux autres problèmes. Il y a ici trois grosses questions qui se peuvent se répondre avec une seule réponse. Premièrement : comment ça se fait que jusqu'au dix-neuvième siècle personne n'a posé la question du Avnei Nezer ? C'est quand même une question simple ! Deuxième point étrange : aujourd'hui nous n'accomplissons plus cette Halakha, on n'oblige plus un couple à divorcer lorsqu'ils n'ont pas d'enfants pendant dix ans. Même chez les rabbins : Rav Reouven Margulies, le 'Hazon Ich, le Rabbi de Loubavitch et pleins d'autres n'avaient pas d'enfants n'ont pas divorcé. Pourtant c'est une Halakha mentionnée dans la Gmara et le Shoul'han Aroukh Even Haezer Siman 154 ! Et le troisième étonnement est la question même du Avnei Nezer (comment le forcer à divorcer alors que ça vaut plus d'un cinquième de son argent).
Rav Wattenberg nous enseigne un 'Hidoush pour répondre à cela, et ça va amortir la suite du Shiour. (Ça va faire mal, ce n'est pas grave.) Le lien dans un couple au Moyen Âge et avant était différent que le lien dans un couple aujourd'hui. Si aujourd'hui l'homme considère sa femme comme sa moitié qui l'a complète etc., ce n'était pas vraiment le cas il y a mille ou deux mille ans, du moins pas partout. Ils considéraient plutôt leurs femmes comme une associée, et on peut avoir deux ou trois associées, aussi la perte d'un associé n'est pas très douloureuse - le divorce était beaucoup moins dramatique qu'aujourd'hui. Et c'est pour cela que la question n'a été posée qu'au dix-neuvième siècle. On comprend aussi pourquoi personne n'accomplit cette Halakha aujourd'hui car divorcer représente une perte terrible que Nos Sages n'ont jamais imposé (pas plus d'un cinquième). On voit aussi ça la Gmara ramenée plus haut où Rabbi Yéhouda Hanassi refuse de faire divorcer son fils car il a déja fait attendre sa femme plus de dix ans et les gens vont le critiquer, n'y a t'il pas un plus gros problème : comment peut-il divorcer, c'est la femme de sa vie etc. ?! On remarque bien que ce n'était pas si terrible que ça, et c'est d'ailleurs ça qui a permis qu'au bout de quelques temps de mariage il soit parti pour douze ans ! Preuve en est : le 'Hazon Ish a voulu divorcer après dix ans et sa femme lui a répondu qu'il n'y avait pas de problème, simplement sur le chemin du retour du divorce elle se jetterait du pont ! Et finalement il n'a pas divorcé, c'est donc bien qu'il a considéré que c'était une perte trop terrible à imposer à quelqu'un pour l'accomplissement d'une Mitsva.
Attention : il n'y a pas ici une évolution de la Halakha, mais une évolution du contexte qui fait que la Halakha s'applique différemment. C'est une grande subtilité, et on ne dira pas la même chose sur un Din, ici il s'agit seulement d'une Takana d'une institution des rabbins de divorcer.
On va citer un autre A'haron (Rav) Isaac Baer Levinsohn/Yitshak Ber Levinzohn surnommé le Rival (ריב״ל).
C'était un monsieur un peu lié aux Maskilim mais il était assurément très branché. Il est né en 1788 mort en 1860, et a écrit de très nombreux livres pour défendre le judaïsme rabbinique des attaques des chrétiens et des karaïtes, et il a même attaqué pour cela les 'hassidim. Il a écrit entres autres le Beth Yéhouda, le Zéroubabel, le Or Learbaa Assar - un livre qui vient expliquer quatorze sougiot de Haggada choquantes du Talmud, Tahar Hassofer contre les karaïtes, Effes Damim contre les accusations de meurtres rituels. À ce titre il mérite déjà qu'on le cite.
Il écrit exactement l'inverse de Rav Reouven Margulies dans Or Learbaa Assar §2 au début : que les 'Hakhamim du Talmud étaient polygames etc. mais il ne ramène pas de preuves à cela. Rav Wattenberg nous amène donc quatre preuves dans ce sens :
Première preuve: La Gmara dans Psa'him 113a raconte que Rav conseillait à Rav Assi de ne pas se marier avec deux femmes car elles pourraient comploter contre lui, et que s'il se mariait avec deux qu'il en prenne une troisième qui pourra lui révéler les complots. C'est donc étonnant ce qu'écrit le Aroukh Hashoul'han qu'on n'a trouvé aucuns rabbins du Talmud polygame... Il ramène une preuve du Midrash que Rabbi Yossi avant de se marier avec une seconde femme il a tenu à divorcer de la première, mais ça ne tient pas trop la route et même sa preuve n'est pas terrible : sa femme était méchante et il n'avait pas les moyens de divorcer en lui payant sa Ktouva (finalement un de ses élèves lui a avancé l'argent) - il n'avait donc sûrement pas non plus les moyens de subvenir aux besoins de deux femmes et c'est pour ça qu'il a attendu de divorcer.
Deuxième preuve: On trouve certains 'Hakhamim du Shass qui étaient vraisemblablement polygames. Notamment Rav Papa : il était marié avec la fille de Abba Soraa (Ktouvot 39b et Sanhedrin 14b), et dans Ktouvot 52b en bas on voit que le fils de Rav Papa s'est marié avec une autre fille de Abba Soraa - or il est interdit de se marier avec la sœur de sa mère, donc apparemment Rav Papa avait une deuxième femme. C'est vrai qu'on peut imaginer qu'il a eu son fils avec une femme qui serait morte (et seulement après il s'est remarié), cependant la pashtout des sougiot n'indique pas ça mais au contraire qu'il était polygame.
Trosième preuve: La Gmara dans Yoma 18b et Yébamot 37b nous raconte quelque chose de très étrange : lorsque Rav et Rav Na'hman arrivaient dans une certaine ville (Shakhantsiv en Bavel) ils proclamaient : qui veut se marier avec moi pour un jour (certains expliquent plutôt le temps de leurs passages) ! Certains dans la Gmara même pensent que c'était uniquement pour être marié officiellement (et éviter d'avoir des mauvaises pensées), mais qu'ils ne les touchait pas (elles étaient nida etc.) On voit encore plus que ça dans le Yeroushalmi Yébamot Perek 4 Halakha 12 (29a) : Rabbi Tarfon qui était Cohen s'est marié avec 300 femmes (trois cent est un nombre utilisé pour l'exagération, comme le soulignent tous les Rishonim) pour qu'elles puissent manger la Terouma pendant une période de disette mais il ne les touchaient pas. Ce n'est pas une très grande preuve pour la polygamie, mais c'est déjà ça.
Énormément d'explications ont été données sur cette Gmara. Rav 'Haim Bloch dans son Da Ma Shetashiv est allé très loin, dans ce livre il ramène quatorze des vingt-six réponses qu'il a donné au pape Pie Xi en été 1934, il appelle ça Tshouvati Lavatican. C'était suite à la montée des nazis, ils avaient réimprimés les livres de tous les antisémites qui diffamaient toutes sortes d'idioties sur le Talmud, donc le pape a voulu savoir la réponse d'un rabbin à ces accusations, et il est tombé sur le Cardinal de Vienne qui lui a présenté Rav Haim Bloch.
Dans ce livre la Siman 4 page 26 il ramène toutes sortes d'explications, mais à la fin il dit qu'il pense qu'il s'agit en réalité d'un passage falsifié : on voit dans Psa'him 112b que cette ville de Shakhantsiv était une ville de moqueurs, c'est donc une rumeur qu'ils ont propagé et les gens y ont cru et ça a fini par se propager jusqu'aux rabbins qui ont consigné le Talmud (ils en étaient choqués mais l'ont tout de même consignés). C'est très bizarre, on pourrait aller très loin avec ça. Beaucoup de rabbins se sont opposés à lui, le Rav David Sinzheim dans son Kountras Shiva 'Hakirot page 111 par exemple.
Quatrième preuve: Ce qui est marqué dans le Yi'houssé Tanaim Véamoraim, livre écrit par un Rishon Rav Yéhouda bar Klounimouss (רבי יהודה בן קלונימוס) un Tossafiste allemand, sous l'entrée Bar Kapara. Il ramène un Midrash qu'il était marié à douze femmes et chacune assurait la parnassa de leurs maris pendant un mois pour qu'il puisse étudier. Le problème est qu'on ne retrouve pas ce Midrash, comme indiqué dans les annotations de Rav Yehouda Leib Maïmon-Fishman (un très grand Baki qui avait accès à énormément de Midrashim perdus).
Mais Rav Reouven Margulies dans Ollélot Siman 5 fait une proposition : le Yéroushalmi Yébamot Perek 4 Halakha 12 nous raconte l'histoire d'une famille avec treize frères donc douze étaient mariés sans enfant puis les douze sont morts. Le treizième frère (son identité est soigneusement gardée) devait donc se marier avec ses douze belles-sœurs pour accomplir la Mitsva de Yiboum. Il est alors parti voir Rabbi Yéhouda Hanassi pour lui demander de faire plutôt la 'Halitsa, mais Rabbi préférait qu'il fasse Yiboum. Seulement le treizième n'avait pas les moyens de subvenir aux besoins des douze femmes. Celles-ci se sont alors proposé puisqu'il était un très grand 'Hakham de travailler chacun un mois pour s'occuper de la Parnassa. Et Rabbi qui était très riche s'est engagé à lui fournir l'argent du treizième mois pour les années embolismiques (tous les trois ans), puis il les a béni d'avoir beaucoup d'enfants et que tout aille bien. Et trois enfants plus tard, chacune avait eu trois enfants et Rabbi a pu aider la grande famille. Qui était le treizième frère ? Rav Margulies veut dire qu'il s'agit de Bar Kapara : on voit dans Yébamot 109b en bas que celui-ci était plus pour la 'Halitsa que pour le Yiboum, on voit aussi dans tous le Shass que Bar Kapara fréquentait Rabbi et qu'il le connaissait très bien (le Rambam aussi dans la Hakdama du Michné Torah met Bar Kapara comme élève de Rabbi, et le Raavad lui objecte bizarrement dessus).
Au passage il veut aussi expliquer la Gmara Bra'hot 56b que Bar Kapara a rêvé que ses bras étaient coupés, et Rabbi Yéhouda Hanassi lui répond que c'est un signe qu'il n'aura pas besoin du travail de ses mains pour se nourrir. Et on voit que sa bénédiction s'est accomplie avec ses douze femmes. Mais ce n'est pas une preuve, on a d'autres sources à la richesse de Bar Kapara, dans Kohelet Raba au début de Parasha 11 on nous raconte qu'un jour il se baladait sur des rochers devant la mer de Césarée (certains traduisent non pas qu'il se baladait, mais qu'il creusait - certains pensent à partir de là qu'il était tailleur de pierre) et il vit au loin un bateau qui coulait et un rescapé arrivant jusqu'a la terre ferme. Bar Kapara le ramena chez lui, le réchauffa, le lava et le nourrit puis lui donna cinq pièces. Il s'avéra que ce monsieur était ministre. Trois ans plus tard, des juifs se sont faits attraper et les goyim demandent une rançon de cinq cent pièces. Bar Kapara s'est désigné pour libérer les prisonniers. Le rançonneur était en fait le ministre qu'il avait sauvé : pour la nourriture qu'il avait reçu il libéra les prisonniers gratuitement, et pour les cinq pièces que Bar Kapara lui avait données il lui offrit les cinq cent pièces.
En tout cas d'après Rav Margulies il n'y a plus vraiment de preuves puisque l'on peut se marier avec plusieurs femmes dans le cadre d'un Yiboum.
(Tout est sorti par hasard avec quatre avis. C'est peut-être parce que la Gmara Yébamot 44 (!) conseille au polygame de plafonner à quatre, alors nous aussi on plafonne à quatre.)
Mais il reste encore à comprendre cette contradiction apparente, on a quatre preuves que les Rabbins étaient polygames et quatre qu'ils ne l'étaient pas !
RÉPONSES ET CONCLUSIONS
Rav Wattenberg nous présente un 'hidoush personnel, n'en tirez-en aucunes conclusions halakhiques et si vous le trouvez irrecevables ne le recevez pas.
Il a pensé que ce serait une Ma'hloket entre le Bavli et le Yeroushalmi.
Il y a souvent des Ma'hloktot entre les deux Talmud, elles sont particulières car leurs discussions ne sont pas présentées (il ne savait pas forcément ce qui se passait chez les autres). Ainsi beaucoup d'A'haronim se délectent de déceler ces Ma'hloktot. Le Avnei Nezer qu'on citait tout à l'heure, dans son Iglei Tal fait énormément cela dans les Melakhot de Chabat (il veut expliquer que chaque Talmud a sa vision des Melakhot).
En Bavel la polygamie aurait été autorisée, mais pas en Israël.
En effet, on voit Rav qui conseille à Rav Assi de se marier avec trois femmes et ils sont tous les deux de Bavel (bien que Rav soit né en Israël, il l'a quitté jeune comme c'est marqué dans Sanhedrin 5; et bien que Rav Assi soit ensuite parti en Israël, tant qu'il est appelé Rav et pas Rabbi c'est qu'il est en Bavel). Rav Papa, Rav, Rav Na'hman aussi viennent de Bavel (et Shakhantsiv est en Bavel). Le problème c'est la preuve de Bar Kapara qui était en Israël, mais on a déja repoussé en disant que pour accomplir la Mitsva de Yiboum c'est différent (Note : selon Rav Margulies).
Et de l'autre côté dans les preuves que les Sages n'étaient pas polygames :
le Psikta Rabati est un Midrash d'Erets Israel (comme tous les Midrashim), de plus son écriture a été gérée par Rav Kahana qui est né en Bavel mais l'a quitté étant jeune à cause de ce qui s'est passé dans Baba Kama 117. Plus encore, c'est Rabbi Yéhouda Hanassi (d'Israël) qui parle là-bas. L'histoire du fils de Rabbi se passe aussi là-bas, et le Targoum provient aussi d'Israël.
Le problème est l'obligation de divorcer (et pas simplement de se marier avec une deuxième femme) pour celui qui n'a pas eu d'enfants, c'est une Halakha et c'est très difficile de dire que ça ne s'applique qu'en Israël. Mais d'une part on peut répondre que la polygamie était envisageable mais qu'on se marierait plus vite en divorçant. À part ça, le Meiri dans Ktouvot 77a ramène un avis que ce Din ne s'appliquerait qu'en Israël ! Évidemment il dit ça par rapport à la Kdoushat Erets Israel qu'il faut absolument avoir des enfants etc., mais malgré tout on arrange la preuve.
On ne peut pas nier le fait qu'a l'époque des Shoftim la polygamie était pratiquée, avec les rois qu'on a cité ou encore Guidon dans Shoftim 8, 30 qui avait 70 enfants (ou garçons) parce qu'il avait beaucoup de femmes.
C'est donc impossible de dire que la polygamie est négative, que c'est quelque chose de passoul beetsem avec tous ces Tsadikim.
La question est donc pourquoi Rabeinou Guershom l'a t'il interdite, et suivant ce qu'on a dit pourquoi les Sages en Israël l'ont interdit ?
Certains veulent dire qu'a l'époque ils étaient plus dans une ambiance de sainteté et il y avait moins de disputes, mais c'est difficile de dire ça - par exemple à l'époque des Shoftim...
D'autres encore veulent dire que c'est un problème de niveau et de Kdousha, à l'époque ils pouvaient se permettre la polygamie tout en maintenant leurs niveaux. La réponse est sympathique, mais on voit que pendant les mêmes époques il y a eu des juifs pour et contres, ceux de Bavel et ceux d'Israël, les Sfarades et les Ashkénazes, donc ça ne marche pas très bien...
Pire que ça, même chez ceux qui interdisent on a trouvé des Rabbanim qui étaient pour : le Yaabets et le Gaon de Vilna.
Encore une fois, tout dépend du lien qui s'est installé dans le couple : si on a un lien du genre "chacun est la moitié qui complète l'autre" c'est inenvisageable, par contre si on considère sa femme comme une associée ça passe. Il semble donc qu'à l'époque des Shoftim le lien avec la femme était plus faible, ou différent du moins; ce qui n'est pas le cas plus tard en Israêl (mais pas en Bavel) qui n'aimaient plus la pratique de la polygamie.
C'est intéressant parce que généralement les coutumes Ashkénazes sont basées sur le Shass Bavli, et les coutumes Sfarades beaucoup plus imprégnés du Yeroushalmi. Mais il y aurait deux domaines où ce n'est pas le cas : celui-ci (si ce que dit Rav Wattenberg est vrai), et le deuxième point est de faire toute une histoire des Shedim (les démons). Les Sfaradim y sont friands, et beaucoup moins les Ashkénazim - et dans le Talmud Bavli on a tous les détails sur les démons mais très peu de le Yeroushalmi.
Et à l'époque des Rishonim on a eu de plus en plus de juifs qui percevaient le mariage différemment de telle sorte qu'il était de plus en plus difficile de pratiquer la polygamie surtout dans les pays chrétiens par opposition aux pays arabes. Bien sûr, ça ne veut dire qu'il n'y avait pas chez les Sfaradim des gens qui avaient un lien plus fort avec leurs femmes qui leur empêchaient d'être polygames; et inversement on a eu le Yaabets en pleine Allemagne qui ne voyait pas de problèmes à la polygamie.
C'est vrai qu'il est très osé de dire ça.
Rav Wattenberg a trouvé une sorte de smakh à ça, du Ritva dans Yébamot 44a : il dit que le Rambam a permis la polygamie parce qu'il habitait avec les arabes, il fait donc un lien avec la mentalité ambiante (bien sûr il n'y avait pas de 'herem là-bas).
Il y a encore d'autres choses sur laquelle la Torah n'a rien dit et dont on en est aujourd'hui choqué alors qu'à l'époque on ne l'aurait pas été : par exemple manger avec les doigts. Ou encore les décisionnaires ramènent qu'il est permis de cracher dans la synagogue à condition de l'écraser avec le pied ensuite comme écrit dans le Shoul'han Aroukh Ora'h Haïm Siman 151 Séif 7 ramené dans le 'Hayé Adam Klal 17 Séif 13 qui expliquent que puisque les gens le font à la maison (!) ce n'est pas un manque de respect à la synagogue. Et c'est intéressant, le 'Hafets 'Haïm (début du 20ème siècle) dans le Shaar Hatsiyoun interdit pour ceux qui ne crachent pas ainsi chez eux.
La polygamie aussi, on ne peut pas l'interdire d'office (avant le 'herem et le changement des mentalités) et encore moins reprocher à la Torah de ne pas l'avoir interdite clairement.
Encore une fois, il ne s'agit pas la d'annuler une Mitsva - on ne parle ici que des habitudes des gens dont la Torah n'a pas parlé.
Aujourd'hui avec l'esprit moderne, si quelqu'un se mariait avec deux femmes il ne serait de toute façon pas heureux : soit ses femmes n'auront pas l'esprit adapté à la polygamie (qu'elles attendent plus comme lien du mariage) et il y aura alors pleins de disputes (comme l'expliquent les A'haronim), soit ces femmes ne sont pas dérangées par la polygamie mais alors c'est l'homme qui ne sera pas heureux car lui aussi attend autre chose d'un mariage !
Le 'Hidoush du Rav est donc qu'il est permis de penser en fonction de notre époque que la polygamie est quelque chose de négatif, et malgré tout ce qu'ont fait David et Shlomo n'est pas du tout négatif (voire positif).